TEXTE de Tita Guéry / Le processus Genre Poulpe

 

 

Je suis née en 70, pendant la parenthèse enchantée...

Pendant les vacances, mon père me traduisait les albums de Robert Crumb. Quand j'ai su lire, j'ai dévoré Saint Exupéry, Wolinsky, Pichard, Manara, Myckey, Lili l'espiègle, Reiser ... A l'école, je faisais des exposés sur la reproduction des animaux.

J'aurais pu être sexologue, ou vétérinaire, j'aurais aimé être sage-femme, cuisinière, éthologue ... Je suis plasticienne, auteur, scénographe, graveuse. Quand je pratique mon métier, je suis tout ça, mais, en plus, je remplis des dossiers. Je fais un métier sérieux : j'accouche des projets, j'invente des recettes avec des pigments, j'observe les comportements, j'écoute ce qu'on me confie, je regarde à la loupe des planches anatomiques, je monte des bandes-son, j'organise des espaces, je fabrique des objets, des personnages.

 Je cherche toujours à déceler la part d'animalité qui se cache en nous. Ce qui m'intrigue, c'est l'organisation des occidentaux. Comment ils se nourrissent, se reproduisent, leur façon de capitaliser le territoire, dans quel genre de nids ils dorment. Leur quotidien m'inquiète, me concerne, parfois me consterne.

 En 2012, je me suis posée la question du désir : celui d'être, de faire, d'agir, de l'autre.

 De mon point de vue, la sensation du désir ressemblait à un poulpe qui vous envahirait le corps et le cerveau. Mouvant, inquiétant, d'abord sauvage, souvent invisible, puis émouvant, nourrissant, intelligent …

J'ai donc commencé une gravure trop grande. Une gravure à bois perdu était nécessaire, à cause de la prise de risque que cela implique. On ne peut pas revenir en arrière, chaque accident sur la Dessin numérique : Tita Guéry, 2015                                                              plaque est irréversible, et on doit composer avec, comme dans la vie,  comme dans la vie amoureuse. La gravure sera construite avec les blessures infligées au bois.

Mon but était de réussir UNE gravure complète, avec plusieurs phases (couleurs) nées de la même matrice. La gravure permet de moduler : certains tirage comportent toutes les phases, et recevrons donc, ici, cinq couleurs. D'autres ont échappé à certaines phases, et n'en comportent que deux ou trois, et donc, que deux ou trois couleurs. Elles expriment des choses différentes selon ce qu'elles ont reçu.

La superposition un peu décalée d'un rouge et d'un bleu, plus proche d'une affiche réalisée en sérigraphie m'évoquait les « genres » et les stéréotypes. Le bleu réservé aux garçons, le rouge rappelant les menstruations, le décalage de deux couleurs venant d'une même matrice , certains bleus rappelant les affiches vendant des vacances de rêves me ramenaient à mes sujets : être soi, assumer nos singularités, tout en vivant dans une même société qu'on fait évoluer.

Les impressions ont été très physiques. Une plaque d'un mètre sur deux ne passe pas dans ma presse, et tout juste dans ma voiture. Ce travail a été un véritable corps à corps. Il a fallu beaucoup d'encre, quelques cloques, un dos solide, et le soutien des mes collègues et amis.

Petit à petit, tout en gravant, le propos s'est étoffé. Très rapidement, la nécessité d'une bande sonore s'est imposée. J'ai commencé à collecter des histoires de désirs, d'amours finies, de souvenirs, de résilience. J'ai dans le même temps noté tous mes souvenirs liés à l'amour et à la sexualité depuis mes deux ans. Je me suis dit que ce projet avait également besoin d'une voix masculine. Mais deux voix ne me suffisaient pas à représenter la multiplicité des identités, des façons d'aimer, de vivre la sexualité, de se construire.

J'ai donc fait passer un appel à témoigner, comprenant huit questions principales (une par tentacule ).

 

En mai et juin 2014, une vingtaine de personnes de huit à 70 ans, sont venues répondre, lors d'entretiens, durant entre vingt minutes et une demi-journée.

On dit un entretien, mais il s'agit en fait d'une discussion, au cours de laquelle on ne dit que ce que l'on veut bien donner au monde. La plupart des poulpes avaient un message, une clef, un vécu à transmettre. J'ai souvent entendu des amis demander à d'autres amis s'ils s'étaient « fait poulper ».

On entend aussi des gens que je ne connaissais pas encore à l'époque.

J'ai mixé leurs voix, par chapitres, durant l'été et l'automne. Il me reste encore à monter les deux derniers chapitres, mais aussi à entendre d'autres personnes. Le fil conducteur est : nous sommes heureusement tous différents, qu'est-ce qui nous rassemble ?

J'ai cessé d'imprimer le poulpe en octobre 2014.

La dernière phase, qui sculpte l'eau, a été réalisée après les enregistrements. Elle ressemble un peu aux différentes formes que les voix dessinent sur le logiciel.

De la plaque de bois, il me reste la ligne noire de la gravure.

 

Je me dis qu'on devrait écouter plus souvent le poulpe qui est en nous. Quand il se réveille, il nous rend plus vivants.

 

>> EXPOSITION Tita Guery GENRE POULPE

 

 

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Commentaires: 5
  • #1

    ellka (mardi, 09 février 2016 23:15)

    merci tita

  • #2

    GUILLOUËT (vendredi, 10 juin 2016 22:50)

    Franc
    Attachant
    Ambitieux
    Courageux
    Poëtique
    Vivant
    Impliqué
    Physique!

  • #3

    Madison Blanton (jeudi, 02 février 2017 23:56)


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